dimanche 28 février 2010

OSONS la réforme de l'ortaugrafe !

Urgence pour l'ascenceur social, limitation de l'élitisme, souffrance psychique de la jeunessse face à une grammaire complexe et des exceptions archaïques dans l'orthographe : modernisation de la France ? Que nenni !
Le conservatisme rêgne sur la langue ! Osons la réforme ! vite !







L'article de Libération : redonne espoir !

"Un discret cercle de réflexion, auquel contribuent d’éminents linguistes, tente de rationaliser l’orthographe du français. Un travail de Titan."

Rendez vous rue des Pyramides à Paris, 14 h 30, au siège de la la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (la DGLFLF) du ministère de la Culture . Montez au 4e, filez à gauche dans le couloir, happez une revue sur «l’intercompréhension entre locuteurs de langues apparentées» et une autre sur «l’illettrisme en France», ouvrez la porte du fond. Vous y êtes. Ils y sont. Onze hommes autour d’une table en U, de 27 à 83 ans. Présentations. Deux de la DGLFLF, spécialistes des langues de France, un linguiste de la commission nationale de toponymie, un tout jeune docteur en sciences du langage, trois enseignants (dont un Bruxellois), un militaire en retraite, un artiste-peintre licencié en lettres, un traducteur d’anglais dans un organisme onusien. Et au centre : Claude Gruaz, linguiste, directeur de recherche honoraire au CNRS. Un vétéran de la recherche sur l’orthographe du français, qui a dirigé, douze ans durant, l’unique laboratoire du CNRS dédié à ce thème.




C’est lui qui nous avait appelés après que s’étaient éteints les débats de rentrée sur les maltraitances de l’écriture. Le livre de François de Closets, Zéro faute, rendant grâce aux correcteurs informatiques, avait échauffé ce qui est selon l’écrivain «une passion française» pour l’orthographe. L’hiver venant, celle-ci s’était refroidie, mais pas partout. Pas chez les linguistes et «usagers de la langue» participant aux recherches du groupe «Etudes pour une rationalisation de l’orthographe française», collectif informel dont la réunion mensuelle est hébergée, cet après midi-là, par la DGLFLF. De ce discret cercle de réflexion fort de 28 membres et auquel contribuent d’éminents linguistes comme Micheline Sommant, auteure des dictées de Pivot et professeure à la Sorbonne, Michèle Lenoble-Pinson (université de Bruxelles) ou Annie Desnoyers (université de Montréal) est issue en octobre l’association Erofa, ouverte au plus grand public (1).



«Guillerète» et «zigounète»



«Pourquoi écrire "aquarelle"avec un e sans accent et deux l, mais "modèle" avec un e accentué et un seul l ? "Antenne" avec deux n, mais "arène" avec un seul n ? "Toilettage" avec deux t, mais "étage" avec un seul t ?» Bref, peut-on en finir avec cet arbitraire? C’est l’épineuse question à l’ordre du jour. Elle va engager deux heures de débats vifs. Le doublement de consonne après le e constitue l’une des grandes difficultés de l’orthographe, répondant à des règles compliquées assorties d’un régiment d’exceptions. Le collectif étudie une solution : opter systématiquement pour le e accentué. En vertu de quoi, 2 500 mots seraient modifiés, de «abérant» à «endéter», «guillerète» et «zigounète»… Déraisonnable ? Rationnel. «Comprenez bien, nous avait prévenu Claude Gruaz. Nous ne croyons pas au grand soir orthographique, à une réforme outrancière qui ferait hurler tout le monde et ne passerait jamais. Encore moins à un système phonographique, absurde ! Imaginez, on écrirait "porter", "portée", portées", "portai", "portait", "portaient" avec deux graphies : "porté" et "portè" ! Non, nous menons modestement des études pour voir s’il est possible de ra-tio-na-li-ser l’orthographe. C’est-à-dire renforcer, autant que possible, les régularités qui structurent l’écriture du français.» Un exemple ? «Le pluriel des noms s’écrit le plus souvent avec s. Mais parfois avec un x : "choux", "chevaux"… Il y a donc deux possibilités. Et bien, c’est une de trop !» Claude Gruaz a trouvé la métaphore : «L’orthographe du français est comparable au Paris d’avant 1850 : un ensemble de rues et d’impasses qui s’enchevêtrent et dans lesquelles on ne s’aventure jamais sans redouter un traquenard. Nous voulons remplacer ce dédale par de grandes avenues où l’on circulerait aisément.»



Jouer au baron Haussmann de l’orthographe suppose un travail d’orfèvre mené avec une prudence de chat tant les conservatismes sont grands, Claude Gruaz en est conscient. Il a passé sa vie à étudier la structure de l’orthographe française dans le laboratoire fondé par la grande historienne de l’orthographe, Nina Catach. A la retraite, il continue de ferrailler contre les pièges du français avec son réseau qui a le soutien de linguistes renommés comme Pierre Encrevé et André Chervel. Tous partagent une conviction, républicaine : la maîtrise de l’écrit est un levier de l’ascension sociale et celle de l’orthographe en est un rouage qui doit être accessible à tous. Or celle-ci chute en vrille depuis 1985, poursuivant une baisse amorcée un siècle auparavant, dans les années… 1880 (2). A cette époque, les disciplines enseignées sont diversifiées, réduisant de fait le temps dévolu à l’orthographe, ce qui répondait au vœu de modernisation de l’éducation exprimé par Jules Ferry. Le problème, c’est que l’écriture du français est restée l’une des plus difficiles au monde, et son apprentissage est bien trop chronophage.



Gruaz et ses compagnons ont de la peine «pour les pauvres gosses qui doivent apprendre tout cet embrouillamini», sans parler de l’obstacle que cette complexité représente pour les étrangers et le rayonnement de la francophonie. Ils s’agacent du conservatisme de ceux qui entretiennent l’idée d’une orthographe sacrée «patrimoine national»,irréformable, alors qu’elle l’a été maintes fois, avec plus ou moins de bonheur. Ainsi, en 1878, l’Académie a simplifié les mots d’origine grecque en décidant que dorénavant il n’y aurait pas plus de deux lettres grecques dans un mot ! «Rhythme» est devenu «rythme». Merci…



Démarche expérimentale



Que faire aujourd’hui, alors que les «rectifications orthographiques», inspirées par Nina Catach et votées par l’Académie en 1990, peinent à s’imposer? Peut-on imaginer plus ambitieux ? «Nous soutenons ces rectifications qui constituent une réelle avancée,dit Claude Gruaz, mais nous voulons aller plus loin. Elles touchent à beaucoup de problèmes - pluriel des noms composés et des nombres, accents circonflexes, etc. - qui concernent un faible nombre de mots, 2000 environ. Notre position est inverse. Nous étudions un à un des problèmes qui concernent de nombreux mots, et nous tentons de résoudre chacun d’eux en proposant une règle qui ne supporte pas d’exception et qui soit compréhensible par tous.» Comment ? «Par une démarche expérimentale. On analyse chaque problème sous plusieurs angles : histoire, place dans le système orthographique contemporain, usage. On émet des hypothèses sur la façon de le régler, on les expérimente en les testant sur le corpus informatisé du Robert et on valide la plus cohérente.»



Le collectif rationaliste s’est courageusement attaqué à deux problèmes majeurs dont les solutions ont fait l’objet de deux fascicules publiés l’an dernier (3). Le premier porte sur les mots finissant en x et propose de remplacer cette lettre par un s. De «bateaus» à «chevaus» et «radieus», 2 990 mots rejoindraient alors l’usage général, comme le font «landaus» et «pneus». L’histoire du x appuie cette suggestion. Au XIIe siècle, on disait «les chevals» en faisant sonner le l comme un u, ce qui a donné «chevaus». Mais, on a bientôt écrit la terminaison «us» avec un signe qui ressemblait au x: «chevaus» devient «chevax». Puis on a rétabli le u, mais sans supprimer le x : «chevax» devient «chevaux»... Ensuite, par analogie, le x s’est collé à certains mots terminés par u ou i- «chaux», «houx», «généreux»,«prix», «choix».



Le second problème que s’est coltiné le petit cercle, c’est le doublement aléatoire de la consonne dans les féminins et les mots dérivés d’un autre mot. «Partisan» donne «partisane» avec un n, mais «paysan» donne «paysanne» avec deux n… «Le doublement de consonnes a diverses origines, explique Claude Gruaz. L’une d’elle tient à l’histoire : jusqu’au XVIe siècle, on prononçait "bon/ne". Pour transcrire cette prononciation, l’usage s’est imposé de doubler le n. Puis la diction a changé. On dit aujourd’hui "bo/ne", mais le double n est resté. Du moins dans certains dérivés puisqu’on écrit jardin et jardinet



Dans son livret consacré à la question, le collectif a proposé de supprimer ces doublements de consonnes, ce qui revient à écrire «rationel». Procédant avec une prudence méticuleuse, le petit cercle avait laissé à un examen ultérieur le cas de figure particulier des mots, nombreux, où le doublement de consonnes est précédé d’un e. Enlever un t à «cadette», par exemple, impose d’ajouter un accent sur le e, et de procéder à deux modifications. Justifié? Historiquement, sans nul doute : nombre de consonnes doubles après le e sont dues au fait que les premiers imprimeurs n’avaient pas d’accents dans leurs casses pour restituer le son é ou è… Après concertation, le groupe s’était accordé pour supprimer, là aussi, le doublement de consonnes. L’objet de cette réunion hivernale, rue des Pyramides, est d’en examiner l’impact dans ses ultimes détails.



«Un accent plat »



Supprimer une consonne et mettre un e accent, oui, mais lequel ? Grave ou aigu ? «Là vous allez avoir un débat, la prononciation n’est pas unifiée en France»,dit avec un fort accent du sud, l’ex-militaire Jean-Claude Anizan. Le linguiste Ange Bizet, barbe imposante et puits de savoir, observe que l’accentuation des voyelles diffère selon les générations et les régions : «Les anciens distinguent "âge" et "bache", "pâtes" et "pattes". En Picardie, on dit "rose" avec un o ouvert.»«Et si on remplaçait les accents par un accent unique, horizontal, comme le proposait Nina Catach ?»suggère Camille Martinez qui vient de finir sa thèse sur les variations des orthographes dans les dictionnaires contemporains. Un vent de révolution menace. «Un accent plat ? On n’en est pas là», conclut prudemment Claude Gruaz. Michel Alessio, de la DGLFLF, spécialiste des langues de France, opine.



La nuit est tombée, la séance est levée. Une règle a finalement été établie et envoyée aux partenaires belges, québécois et suisses avant la publication d’un nouveau fascicule à paraître ce mois-ci,. Et après ? «Les chercheurs proposent, les usagers disposent, dit Claude Gruaz. Il n’est pas déraisonnable de penser qu’ils prendront conscience que l’orthographe française pourrait être plus rationnelle, et donc à la portée d’un plus grand nombre d’écrivants.» En attendant, il se réjouit du courrier adressé à son groupe de travail par l’Académie française qui, saluant la création de l’association, note que les travaux d’Erofa «lui sont de la plus grande utilité pour nourrir sa réflexion». De la part de l’institution qui veille aux destinées de la langue française, c’est le frémissement d’une reconnaissance.



(1) Etudes pour une rationalisation de l’orthographe française aujourd’hui. http://erofa.free.fr (2) Selon une enquête de Manès et Cogis (2007). Lire aussi l’Orthographe en crise à l’école par André Chervel, Ed.Retz, 2008. (3) Les consonnes doubles, féminins et dérivés et le X final, Ed.Lambert-Lucas, Limoges, 2009.

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